Paroles de migrants, Hadiyetou

Paroles de migrants, Hadiyetou

Hadiyetou

Un soir, son oncle maternel lui annonce : « Prépare-toi, tu pars demain en Europe, ce n’est pas ici que tu vas trouver un avenir ».

Hadiyetou a 14 ans, il ne pense pas un instant à contester la décision familiale, son oncle a payé le voyage d’avance et il se retrouve dès le lendemain dans un bus, quittant la Mauritanie, le pays de son enfance, pour rejoindre le Mali, son pays de naissance. De là, jeté avec d’autres jeunes dans un pick-up Toyota, va commencer un périple infernal pour traverser le Mali, l’Algérie, et la Lybie, où il va retrouver son frère, de deux ans son aîné qui, lui aussi, malgré des problèmes de santé, a pris la route de l’Europe.

Hadiyetou est parti sans bagages, sans argent, avec pour tout papier une photocopie de son acte de naissance. Son passeport a été confisqué par les passeurs.

De ce voyage, Hadiyetou se souviendra surtout d’une constante violence, entassé avec d’autres jeunes dans la benne du pick-up, si serrés les uns contre les autres qu’ils ne peuvent pas retrouver l’usage de leurs jambes avant de longues minutes quand ils descendent. Le pick-up est arrêté fréquemment par des barrages de groupes armés non identifiables qui leurs font réciter des sourates du Coran pour s’assurer qu’ils sont bien musulmans. Heureusement, Hadiyetou avait suivi une formation dans une école coranique. Malheur aux jeunes qui ne connaissent pas le Coran. Hadiyetou se souvient d’un jeune garçon, sans doute chrétien, qui est mis à l’écart, ne pouvant répondre aux questions des passeurs. Hadiyetou ne le reverra pas.
Ils arrivent enfin, quelques semaines plus tard, sur une plage libyenne. Leur groupe compte maintenant quelque 500 personnes, pour la plupart de jeunes mineurs. C’est la première fois que Hadiyetou voit la mer, mais il ne s’agit pas de vacances. Les jeunes vont rester 3 jours sur la plage pour une petite cure d’amaigrissement, sans eau ni nourriture, pour ne pas surcharger le bateau, avant d’embarquer dans une nuit noire, sur une grosse barque. Ils vont devoir s’allonger sur le côté, collés les uns aux autres, alignés comme on peut le voir sur les gravures des navires de la traite des esclaves au XVIIIe siècle : 250 dans la cale, 250 sur le pont supérieur.
Le voyage va durer 2 jours et demi, toujours sans possibilité de boire, avec juste quelques biscuits secs pour tenir le coup.
Le troisième jour, à l’approche de l’île de Lampedusa, un bateau des garde-côtes italiennes les intercepte pour les déposer sur l’île où un service d’accueil va enfin, après avoir isolé les mineurs non accompagnés, leur donner de l’eau, de la nourriture et également quelques soins, en particulier pour le frère de Hadiyetou.
Le séjour sur l’île va durer près de 3 mois. Ils sont nourris, logés, soignés, et même dotés d’un petit pécule de 30€ chaque mois, mais sans aucune activité ni information sur ce qui les attend.
Une nuit, Hadiyetou et son frère décident de s’enfuir, trouvent un bateau pour rejoindre la côte italienne et, après quelques nuits dans la rue, avec leurs petites économies, arrivent à acheter 2 billets de train pour Paris. A la frontière française, ils n’ont pas d’autres documents à montrer aux douaniers que leur acte de naissance. A leur grand étonnement, les douaniers français se contentent de vérifier qu’ils ont au moins un billet de train et les laissent passer. Dans la nuit, ils entendent enfin : « Terminus, gare de Lyon, les voyageurs descendent de voiture », une phrase magique dont se souviendra longtemps Hadiyetou.
« C’est là que la vraie vie a commencé » écrira-t-il plus tard dans un court texte biographique. 

Après une nuit dans la rue, après s’être adressés à différentes personnes dans la gare, ils trouvent enfin un Malien qui partait au boulot et qui, sans doute habitué à cette situation , leur indique l’adresse du service d’accueil des jeunes mineurs non accompagnés. Ils sont alors dirigés vers un service éducatif qui, après un certain nombre de questions pour établir un premier dossier, leur donne des tickets-restaurant et l’adresse d’un hôtel à Belleville dans lequel ils vont enfin pouvoir se reposer. Leur avenir se limite dans un premier temps à passer leur journée devant la télé ou à satisfaire différentes visites médicales puisque leur ignorance du français et leur peur de ne pas retrouver l’adresse de leur hôtel les empêche de s’éloigner trop de leur refuge.
Au bout de quatre mois, les deux frères doivent se séparer quand Hadiyetou est confié à une famille d’accueil dans l’Essonne, chez Josiane et Jean Claude, dont les enfants ont déjà quitté la maison. Hadiyetou, dans cette petite ville, trouve enfin le calme qu’il recherche depuis son départ de Mauritanie.
Dès la rentrée scolaire de septembre, après un test de connaissances, Hadiyetou va commencer sa formation, dans un collège puis à l’unité pédagogique pour étrangers, enchainant apprentissage du français, stages … En 2017, il change de famille d’accueil, se retrouve à Vitry-sur-Seine, obtient un CAP de serrurerie métallerie mais ne trouve pas de place dans un lycée professionnel.

Ce n’est qu’à l’approche de sa majorité, en 2018, qu’il commence à se soucier de ses papiers et cherche à régulariser sa situation. Quelques jours avant son anniversaire de 18 ans, Hadiyetou dépose donc une demande de naturalisation et commence alors le long chemin des rapports compliqués avec l’administration, avec la justice, soutenu par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) et son éducatrice référente au sein du SAFP, le Service d’Accueil Familial Parisien.
C’est à cette époque que son chemin croise l’ADS et qu’il va pouvoir bénéficier d’un soutien en français et en maths alors qu’il prépare un bac pro de logistique. Il a trouvé depuis trois ans un contrat de travail en alternance à la SNCF, et rejoint enfin une école privée financée par la SNCF qui bénéficie d’une subvention de l’Etat pour préparer un diplôme de technicien supérieur en méthode d’exploitation dont l’examen de sortie aura lieu en juin 2023.

En cas de succès, ce dont il ne doute pas, il s’attaquera alors à une licence…Hadiyetou a aujourd’hui 21 ans, un logement, un CAP de serrurerie métallerie, un travail en alternance avec une formation de technicien supérieur en méthode d’exploitation logistique, l’espoir d’une future licence et, depuis peu de temps, la nationalité française.

Hadiyetou est « un enfant qui marche », titre d’une courte mais surprenante biographie qu’il a récemment écrite avec pour seule philosophie de ne jamais regarder en arrière, d’aller de l’avant pour trouver le bonheur.

Mai 2022

 

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