Entretien avec Arthur, 27 ans
Le racisme, c’est quelque chose de poisseux, qu’on croit parfois avoir chassé, mais qui revient toujours insidieusement, au détour d’une phrase, d’un regard.
Ce sont ces petites phrases, ces regards lourds qui ne méritent que des haussements d’épaule, surtout quand on pratique le basket-ball de haut niveau et qu’on domine d’une tête la plupart de ses contemporains. Ce sont ces regards, ces remarques assassines qui ont, depuis longtemps, empoisonné la vie d’Arthur.
Né à Clamart, adopté à l’âge de 3 mois, avec une enfance heureuse auprès de parents aimants et protecteurs, Arthur date la prise de conscience de sa différence vers l’âge de 10 ans, quand des amis lui caressent la tête d’un geste qui se voudrait sans doute affectueux mais qui blesse profondément, et pour toujours, le jeune enfant.
Eh oui, il a des cheveux différents, des cheveux crépus, et alors ? Est-ce que ça donne le droit de lui caresser la tête comme on le ferait d’un jeune chien ?
A l’école primaire, puis au collège, ce sont quelques phrases et moqueries lancées parfois par le petit crétin de service qui pense épater ses copains, qui entraînent quelques rires, même parfois des sourires gênés des rares copains noirs de cette banlieue sud plutôt favorisée.
Quand Arthur se promène avec ses parents blancs, pas de problème en apparence, il est simplement le fils untel, les gens du quartier et les commerçants répondent à son salut…mais peu à peu, quand il se promène seul, dans la rue ou dans les magasins, il remarque vite que quelques-unes de ces aimables connaissances de quartier semblent ne plus le reconnaitre… Arthur a l’impression d’être devenu invisible…
Arthur devra alors vivre avec ces petites phrases du racisme ordinaire, ne pas se formaliser quand, se rendant à un rendez-vous, son interlocuteur le regarde sans cacher son étonnement : « Ah, Arthur, c’est vous ? ». Il ne faut pas s’étonner quand un professeur, lui rendant un bon devoir, lui demande : « C’est vraiment vous qui avez écrit ce texte ? ».
Ne pas s’étonner de se faire contrôler sans raison quand il se balade avec ses potes en jogging. Ne pas s’étonner de se faire arrêter pour un contrôle de papiers quand on est au volant d’une voiture pas trop présentable.
Malgré un bon parcours scolaire, à l’école, au lycée puis à la fac, malgré son travail d’animateur dans un club sportif, et tout en reconnaissant honnêtement n’avoir jamais été vraiment victime d’une discrimination scandaleuse, Arthur sait aujourd’hui qu’il est simplement différent, et que la différence, quelle qu’elle soit, fait toujours peur aux imbéciles.
Il a appris qu’on lui demandera toujours plus qu’aux autres, qu’il devra toujours prouver qu’il mérite tout simplement ce que la vie lui a donné, tout ce qu’il a gagné par son travail, ses entrainements sportifs, qu’il n’a rien volé.
Pas de coups, pas de bagarres, pas de sang, pas d’injustices révoltantes, pas de drames familiaux, non, juste le racisme poisseux, quotidien, à fleur de macadam.
Avril 2022
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