Paroles de migrants, Mamadou

Paroles de migrants, Mamadou

Mamadou

Mamadou, à quinze ans, va voir sa vie prendre brutalement une direction imprévue sans qu’il en soit vraiment préparé. Son père, agriculteur dans la région de Kayes, dans l’ouest du Mali, va tomber malade et connaitre des difficultés pour subvenir aux besoins de sa famille. Un cousin, exerçant son métier de commerçant entre le Mali et la Mauritanie, propose alors au jeune Mamadou de l’aider à entreprendre le voyage vers l’Europe, le seul espoir de beaucoup de jeunes lorsque la vie devient trop difficile au pays.
Le voyage commence donc par la Mauritanie, au nord de Kayes, là où son cousin le confie à un « contact » qui lui fait traverser le pays en bus, toujours vers le nord et, deux jours après, lui fait franchir la frontière du Maroc, clandestinement, en traversant à pied une forêt, se souvient Mamadou.

La traversée du Maroc, à pied ou en bus, le conduit ensuite à Nador, tout au nord du Maroc, sur les bords de la Méditerranée, une ville voisine de l’enclave espagnole de Melilla.
Là, après 3 semaines d’attente dans une forêt, un zodiac embarque les candidats au départ pour les mener juste en face, à quand même quelque 150 km à vol d’oiseau, sur la côte espagnole.
La traversée se terminera sur le bateau de garde-côtes espagnols, dans les eaux territoriales espagnoles, qui conduisent les jeunes à Malaga, où ils subissent un premier interrogatoire. Un premier tri qui va faire comprendre à Mamadou qu’il est devenu un MNA, un mineur non accompagné.
Il va rester 2 mois à Malaga, dans un camp pour mineurs, un séjour dont il garde un plutôt bon souvenir, bien logé, bien nourri, avec seulement un ennui pénible, dans une inactivité totale, à part taper de temps en temps sur un ballon. Mamadou peut quand même se faire de nouveaux copains, dont l’un lui procure pour la première fois une sorte de but : aller en Allemagne, où son nouveau copain a un ami et où, parait-il, il est très facile de trouver un travail bien rémunéré.
Avec deux de ses nouveaux amis, il décide donc de quitter clandestinement le camp et grimpe dans le premier train partant vers le nord, vers l’Allemagne. Sans papiers, sans argent, ne parlant aucune autre langue que le Soninké, Mamadou et ses copains se retrouvent à la frontière française, à Bayonne, où ils sont confiés à la Croix-Rouge.
Déjà aguerris, les trois amis repartent discrètement au bout de trois jours, remontent dans un train sans connaitre vraiment sa destination et, cachés la plupart du temps dans les toilettes, arrivent enfin à Paris où, totalement affamés, ils doivent descendre du train pour tenter de trouver un peu de nourriture. Une vieille dame charitable va heureusement les nourrir et les conduire à la Croix-Rouge qui va rapidement les prendre en charge et les loger dans un hôtel.
Le voyage fut sans doute plus dur et angoissant que ce que raconte Mamadou mais, par pudeur, il préfère certainement en livrer un récit édulcoré, sans doute pour ne pas donner l’impression de se plaindre, une sorte de remerciement envers les inconnus qui l’ont aidé au cours des dernières semaines.
Mamadou semble s’être laissé porter par le hasard, sans savoir vraiment ce qu’il attendait, ni surtout ce qui l’attendait, en quittant le Mali. Dans son cas, le hasard semble avoir été favorable.
Il se retrouve finalement dirigé par la Croix Rouge vers un foyer de la porte d’Orléans. Et c’est là seulement qu’il va s’autoriser une « faiblesse » et se mettre un jour à pleurer. Il peut enfin se confier à un psychologue de la Croix Rouge : le Mali lui manque, sa famille lui manque, il n’a pas pu parler à sa mère depuis des mois. De toute façon, il n’y a pas de téléphone chez ses parents, il n’a aucun numéro, aucun contact… Mais il veut parler à sa mère… Et la solidarité s’organise alors, un groupe de jeunes maliens du foyer vont le soutenir, l’interroger, trouver un contact avec des voisins de sa famille, sa mère est prévenue et ils peuvent enfin se parler…ce qui pourrait être un conte de fée continue.
Mamadou est enfin placé dans une famille d’accueil, retrouve une scolarité normale, trouve un avenir possible après un stage de couvreur zingueur qui lui fait rencontrer un patron bienveillant qui l’oriente vers une école des Compagnons du Devoir où il va préparer un CAP en alternant semaines de formation et travail rémunéré.
Mamadou a maintenant un vrai projet : son CAP obtenu, il préparera un bac pro en couverture zinguerie qu’il obtiendra, il en est sûr, après deux ans d’études.
Devenu majeur, il lui faut aussi penser à son statut, à ses papiers, et, toujours proche de sa famille d’accueil, toujours aidé par une conseillère de l’ASE, l’Aide Sociale à l’Enfance, trouver enfin une place dans un FJT, Foyer pour Jeunes Travailleurs, pour devenir véritablement indépendant, et pourquoi pas s’offrir un voyage au Mali, à Kayes, pour enfin embrasser sa mère.

Avril 2022

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