Témoignage d’Omid, migrant afghan

Témoignage d’Omid, migrant afghan

Souvenir du voyage d’Afghanistan en Iran : Omid avait alors 7 ans

L’interview d’Ahmed, le premier interview des « paroles de migrants » que nous faisions, en février 2022, nous laissera un souvenir durable, et pas seulement pour l’âpreté du récit lui-même.

Tout d’abord, pour ne pas faire mentir la réputation d’hospitalité des Afghans, et bien que migrants logés provisoirement au HUDA de Bourg la Reine, Ahmed et ses garçons, Omid 12 ans et Amid, 14 ans, nous ont fait l’honneur de nous accueillir comme chez eux, avec du thé, quelques fruits et quelques gâteaux… Ahmed, le père, ne s’exprimait pas encore facilement en français et ce sont donc ses garçons, et plus particulièrement Omid, fort de ses quelques mois d’apprentissage du français à l’école, qui ont servi de traducteurs pour nos questions et les réponses de leur père.

La traduction respectueuse de la parole paternelle a certainement donné à Omid l’envie, à son tour, d’exprimer ses propres souvenirs de cet exode. C’est ainsi que quelques semaines plus tard, Omid nous a fait la surprise de nous faire parvenir, par écrit, son propre témoignage, celui d’un enfant qui n’avait pas plus de 9 ans à l’époque.

Ce texte, spontané, mais rédigé avec une maîtrise remarquable pour un jeune de 12 ans n’ayant découvert la langue française que depuis quelque mois, a juste été légèrement retouché, pour l’orthographe, par ses « parrains » de l’ADS. 

famille en partance

« Je m’appelle Omid et je viens d’Afghanistan, j’ai 11ans, j’habite à Paris. Mon histoire commence dans une ville à l’histoire compliquée, car c’est là où les Talibans ont commencé à grandir. Peut-être que vous vous demandez qui sont les Talibans. Ces gens veulent que l’Afghanistan leur appartienne. C’est à cause d’eux que nous sommes partis.

Ma famille habitait à Barlane depuis longtemps. Ma tante était notre voisine. Elle avait six filles et les Talibans venaient toujours chez eux. Alors ma tante ne voulait plus habiter ici et a déménagé pendant quelque temps. Tout est redevenu calme. Après plusieurs mois, son fils qui s’appelait Mounir est venu chez nous. Mon père a pensé qu’il était venu juste pour être avec nous. On passait des journées tranquilles. Mounir jouait parfois avec nous ou aidait mon père à travailler. On était dans la pauvreté, il n’y avait pas à manger, à part du lait, du fromage et du yaourt. On buvait l’eau de la rivière. Après une semaine, tout se passait bien avec Mounir. Le village où j’habitais a vu grandir les Talibans et est devenu plus tard leur capitale. Une nuit, les deux fils du chef des Talibans sont sortis pour se nettoyer avant de faire la prière, car les Talibans sont musulmans. Mounir est sorti aussi et a tué un soldat et les deux fils du chef des Talibans. Puis il s’est enfui. Mon père était à présent accusé à sa place.

A minuit, le chef des Talibans est venu avec une cinquantaine de soldats. Ils nous ont tous fait sortir, à part mon père et ma mère. Quelques heures après, ils nous ont fait rentrer. On a vu mon père et ma mère par terre. Le lendemain, ils voulaient tuer mon père. Après cette décision, ils ont emmené mon père pour le tuer. Plus tard, j’ai revu mon père. Les Talibans avaient décidé de tuer mon père après la cérémonie d’enterrement des deux fils du chef. Puis ils ont donné une  chance à mon père, ils lui ont dit «si tu ne veux pas qu’on te tue, tu dois nous donner deux filles, deux km2 de terre et dix mille poul (monnaie de l’Afghanistan).

Mon père ne pouvait pas donner cela. Il a quand même dit oui et a décidé de quitter l’Afghanistan. Le lendemain, mon père est sorti pendant la cérémonie de l’enterrement des deux fils du chef. Puis la nuit est tombée. Toute ma famille est sortie de la maison par un tunnel secret avec deux grands sacs de 5kg qui étaient remplis de pain.  Après 14 heures de marche, on est arrivé à Hellmande, une ville où se trouvent des passeurs qui pouvaient nous conduire jusqu’en Grèce. Mon père nous a dit de ne pas bouger, et est parti pour trouver un conducteur. Comme tout le monde le savait, il y avait quelqu’un qui s’appelle Gul Ahmad (mon père) qui avait tué les deux fils du chef des Talibans, donc mon père nous a dit que l’on doit l’appeler Said. Il a parlé avec un conducteur. Et le voyage a commencé.

CHAPITRE 1 : Le voyage vers le Pakistan

On a pris un bus la nuit, vers 2:00 pour arriver à la frontière du Pakistan, qui était à 25 km. On est arrivé le matin à 7:00. Puis on a marché pendant 5 heures.  A l’époque, mon père avait 36 ans, ma mère 29, mon grand frère 9, moi 7, ma sœur 5, mon petit frère 4 et ma petite sœur un an. C’était difficile pour nous ce voyage, mais c’était notre seule chance de survivre.

Enfin, on est arrivé à la frontière, à Nok Kundi. C’était impossible de passer. Des trous recouverts de feuilles étaient creusés pour que les gens tombent dedans. On avait tous des branches dans nos mains pour éviter de tomber à l’intérieur. Même moi qui avait 7 ans … J’avais une branche dans la main, on faisait les mêmes gestes que les aveugles. On n’était pas la seule famille, d’autres familles comme nous avaient du mal à passer. Après avoir évité les trous, tout le monde était content mais il nous restait encore des choses à faire. Les Pakistanais avaient laissé des animaux sauvages, des loups et des chiens sauvages. Mes parents m’ont fait monter dans l’arbre et m’ont donné la branche que j’avais dans la main avant. J’ai vite compris que c’était pour empêcher les animaux de monter dans l’arbre. Mon grand frère avait déjà l’âge de se défendre seul. C’était très difficile. Il y avait beaucoup de morts. Les gens pleuraient sur les arbres car un de leur famille était mort. Heureusement, personne dans notre famille n’était morte. Mais, j’étais triste de voir ces morts. Beaucoup de gens se sont suicidés à cause de leur mort.

Enfin arrivés au Pakistan nous étions contents. Nok Kundi n’était pas une ville très sûre pour les étrangers car les policiers les cherchaient. On était dans une maison avec des gens. On ne sortait pas car les Pakistanais pouvaient très vite comprendre que nous étions des étrangers. On se réunissait pour leur donner de l’argent pour qu’ils se taisent. L’un d’entre nous partait acheter de la nourriture. Après quelques semaines de repos, le voyage reprenait.

CHAPITRE 2 : Le voyage vers l’Iran

Une voiture nous a amené sur une montagne. Sur cette montagne il y avait presque 200 personnes. Cette fois le piège était plus dur. Des petites machines étaient cachées. Dès qu’on les touchait, elles se mettaient à sonner pour avertir les policiers. Un homme, croyant qu’ il n’y avait pas de policiers, a laissé sa femme et ses enfants pour traverser la frontière. Mais il a touché les petites machines, qui ont fait énormément de bruit. Les policiers ont tiré sur les premières personnes qui étaient devant. Elles sont mortes. Heureusement que ma famille était derrière.

La montagne était aride donc on ne pouvait pas se cacher. Papa m’a appelé pour faire demi tour. On s’est caché grâce à un rocher loin de la frontière. Tout le monde s’est caché avec nous. Le soir, on dormait sur la montagne sans abri. Le matin, on avait froid. Des gens ont demandé les chaussures de tout le monde pour faire un très grand feu pour se réchauffer. Le lendemain, il pleuvait. Sous la pluie, on a continué notre chemin. Maintenant les petites machines ne fonctionnaient plus à cause de la pluie. On pouvait maintenant continuer à marcher. Mais il a neigé trois heures plus tard. Une femme a accouché sur la montagne.  Les hommes ont fait monter la dame sur une planche de bois pour pouvoir continuer son voyage. Après des heures et des heures de marche nous sommes arrivés dans un village. Cinquante sept personnes se sont cachées dans le salon d’une maison pendant un mois.

Cordialement, Omid  »

Décembre 2022